L’Afrique est bonne hôtesse…

Nous partons donc à Ehidj, village plus haut dans les bolongs. Il nous faut une bonne heure d’Elinkine pour remonter jusqu’à ce village, l’oeil sur le sondeur pour éviter les bancs de sable. Il faut passer un petit haut fond devant le village pour accéder à la zone de mouillage qui fait une petite baie en marge du bolong principal.

L’ambiance ici est différente, le village est plus proche du Cap Skiring et de ses touristes, et il y a un petit établissement touristique, « chez Léon » qui propose quelques chambres, un bar et de la restauration et qui accueille beaucoup de groupes le midi. Les femmes du village ont une petite boutique d’artisanat sur la plage. De part la fréquentation assidue des touristes depuis plusieurs dizaines d’années, les choses sont plus aseptisées que dans les autres villages qu’on a pu voir, les habitants parlent un meilleur français, il y a plus d’argent qui circule et les associations humanitaires sont plus présentes. Il y a ainsi un château d’eau, un potager… Et beaucoup de blancs en horde qui photographient tout ce qui bouge ou non. Ici aussi, l’accueil est très chaleureux, mais cela nous laisse un sentiment mitigé, nous sommes moins charmés, l’atmosphère nous semble dénaturée.

Nous prenons néanmoins nos marques, baignade, pêche sur le banc de sable derrière notre mouillage, on y trouve des coquillages ressemblant à de grosses coques noires à la coquille épaisse, très bons ! Loïza retente l’expérience scolaire ici et cela se passe mieux,Théophile, l’instituteur est jeune et a une autre approche, mais il n’y a pas son niveau scolaire, soit CM1, trop dur pour elle, ici ils en sont aux fractions… soit cours initiation, l’équivalent de notre grande section de maternelle. Ici , il y a une cantine le midi ! Un petit bâtiment derrière l’école permet de faire un foyer à l’abri et les mamans du villages cuisinent à tour de rôle le midi pour tous les enfants, les autres sont ainsi libres d’organiser leur journées comme elles veulent ! Loïza est ravie et peut apprécier elle aussi l’impacte du tourisme avec des interruptions intempestives de la classe par des groupes venant prendre des selfies avec les enfants et distribuer barres chocolatées et brosses à dents… oui, oui, il y a une logique là dedans tout de même !

Je reste néanmoins dubitative devant de tels comportements décomplexés…. Comment réagirait ce touriste moyen devant un car de sénégalais se garant sur la place de son village de campagne et partant à l’assaut des curiosités locales, photographiant madame étendant son linge ou écossant ses haricots, monsieur promenant son chien ou bêchant son jardin, un groupe d’amis faisant un barbecue, ou encore, le comble, investissant l ‘école pour se photographier avec nos chères têtes blondes… J’imagine le pugilat ! Nous ne sommes donc pas encore libérés, nous les blancs de ses comportements colonialistes puants qui nous font croire qu’en se cachant derrière une bienveillance et des bons sentiments envers ses « pauvres sauvages » nous avons les droits de nous immiscer dans leur intimité et leur quotidien afin de ramener en Europe les traces de l’exotisme de notre voyage. Le plus marquant pour moi c’est que ces comportements sont complètements normalisés par les habitants qui ont besoin de cette présence touristique économiquement parlant et qui ne voient même plus ces gens de passage prenant des vues éphémères de leurs vies. J’en ai discuté avec Mamie bass, une des habitantes de Ehidj que nous avons revus à la fête à Sifoka. Elle m’a dit que ça ne la dérangeait pas, mais c’est ça le pire en fait, je pense que ça ne la dérangeait vraiment pas, c’était vraiment normal pour elle. Pour vous présenter le contexte, il y a au moins deux ou trois groupes voir plus en saison qui passent par ce village chaque jour, normal que ça leur semble normal me direz vous, pour moi ça prends des allures de zoo et ça me met mal à l’aise… Enfin, ce serait un vaste débat et nous n’avons pas la réponse à tous les questionnements soulevés par cette immersion en terre africaine, nous ne pouvons pas tous les aborder ici non plus, mais soyez certains qu’ils ont été nombreux et variés. La vie est belle ici mais nous fait réfléchir à pleins de choses, nous donne un point de vue différent sur le monde.

Je vous renvoie ici à a chanson de barbara, « les voyages » qui prends ici tout son sens…

https://www.youtube.com/watch?v=zqTYZit66mE

Notre séjour à Ehidj est aussi l’occasion de retrouver Gaëlle, Manu, Ronan et Jules sur Pikaïa, les enfants auront passé du temps à se balader en annexe et à construire des cabanes troglodytes dans la terre sableuse, les parents prenant l’apéro !

Au bout de trois jours il est temps de repartir, nous sommes attendus à Sifoka pour la fête dès ce soir. Au moment de lever l’ancre, à la sortie de l’école de Loïza, Manu se rend compte que nous sommes échoués, dans la nuit il y a eu du vent et on a dérapé un peu sur le banc de sable derrière nous sur lequel nous avions pêché la veille… Aucune excuse, on s’est relâché, et nous voilà plantés ! Après plusieurs tentatives pour nous sortir de là moteur à fond, tractés par les deux pirogues à moteur du village, on se rends à l’évidence… Il nous faudra attendre la marée haute du soir pour partir vers 21h…. On est pas très rassurés de rester à bord, ne sachant pas exactement jusqu’ou l’eau va descendre et si le bateau risque de se coucher ou pas. On passe l’après-midi à terre, en surveillant de loin, on étaye le bateau avec le tangon. Ce qui veut dire qu’on ne pourra aller à Sifoka que le lendemain après midi, ayant des courses à faire avant à Elinkine, on rate une bonne partie de la fête ! Notamment la mort du taureau et sa découpe, la cuisine le lendemain, la messe du samedi matin et sûrement le repas de midi….

A la nuit tombée le bateau se remet à flots et on peut donc partir tranquillement à Elinkine en suivant notre trace GPS de l’aller, chouette de naviguer de nuit, sans lune sur le fleuve, seuls quelques pêcheurs en pirogues à rame sur les bords, tout est calme.

Le lendemain, après nos emplettes à Elinkine, direction Sifoka pour la fête. Nous arrivons décidément tard mais endimanchés, et tout le monde a déjà mangé, on se retrouve avec les femmes, en cuisine pour finir les plats, on se régale de riz rouge, de mil et de bœuf et cochon grillé. Ce sont les femmes du village des autres familles qui cuisinent pour tout le monde, cela dure trois jours : vendredi, samedi et dimanche. Il y a là toute la famille proche et éloignée de la famille Gomis, et ça en fait du monde, Agolène étant déjà issu d’une fratrie de 10 ! Il y a aussi des représentants de tous les villages alentours, tout le monde assis par terre ou sur des bancs dans le village, il y a plusieurs centaines de personnes. C’est très convivial, riant et coloré, tout le monde est en habit de fête, c’est magnifique. L’après midi se poursuit avec des danses, d’abord les femmes, puis les hommes, la majorité des danses sont non mixtes. La tradition veut aussi que l’on manifeste son allégresse en tirant intempestivement des coups de fusils, on a quand même du mal à s’y faire, ça surprends toujours !

C’est une fête traditionnelle typique, qui marque à la fois l’anniversaire de la mort du défunt et la fin du veuvage de son épouse le cas échéant. Cela n’a lieu que pour des défunts masculins d’un certain âge, lors du décès d’une personne jeune, cela n’a pas lieu. Dans le cas du décès d’une femme, le veuvage du mari ne dure qu’une semaine… On ne parle pas ici de veuve joyeuse…. Le veuvage est soumis à des règles nombreuses et très strictes que je vais essayer de nommer ici de façon exhaustive : Ayo (la maman d’Agolène) durant cette année devait impérativement s’habiller de noir, n’avait pas le droit de sortir du village, n’avait pas le droit d’être invitée dans une autre maison, prenait ses repas seule, dans un plat spécial, dans une autre pièce que les autres. Elle n’avait pas le droit de boire l’eau du même récipient que les autres, elle avait une réserve spéciale pour elle, même si l’eau vient du même puit. Elle était obligée de s’asseoir toujours sur le même petit banc de bois qu’elle seule pouvait utiliser, et enfin le jour de la fête, n’avait pas le droit de manger la viande du bœuf sacrifié, on lui en a acheté exprès pour elle à la boucherie… Il y a sûrement d’autres règles que je n’ai pas connues, mais ça fait déjà long tout ça, pendant un an !

Nous accueillons ce soir là un nouvel équipier, Robin, qui va nous accompagner vers le Cap Vert. Il est en voyage pour plusieurs années et arrive là de Guinée Bissau, et oui, l’heure du départ approche, on pense partir le week end suivant ! Nous ne le savons pas encore, mais la météo en décidera autrement et nous resterons encore 15 jours dans ces eaux, bloqués par la houle furieuse provoquée par de très grosses dépressions dans l’atlantique nord.

Les enfants sentent le départ approcher et veulent profiter au maximum de Luca et Elian, ils décident donc de dormir à terre. Une bousculade le lendemain matin fera chanceler Siméon accroupi près du feu pour se réchauffer, et se rattraper les deux mains dans les braises… Une journée sous morphine et quinze bons jours de bandages lui feront le plus grand bien, il s’en tirera sans séquelles au final, mais il a quand même bien souffert !

Il faut repartir pour Djirwouatou et dire au revoir à Sifoka, il n’est pas prévu qu’on revienne… Dur dur de dire au revoir aux amitiés nouées : Mado, Martin, Bertrand, Hélène, Emile, Fanny, Ayo, Julianna…. Et encore moins aux Enfants : Manolo, Fabienne, Awa, Adama, Samba, Aminata, Hortense, Adèle, Alucia, Georgette, Valentin, Ambou, Dadi, Marie… Eux aussi sont ému de nous voir partir et nous accompagnent jusqu’à la plage. Nous repartons riches de ces rencontres et le cœur un peu gros…. Les enfants et moi avons été baptisés Diola, Manu a reçu le surnom de Manu Chao. Aluga pour moi (celle qui aime les reptiles), Efilig pour Loïza (le cheval) et Samboun pour Siméon (le feu), nom de famille : Gomis. Cela est symbolique mais signifie beaucoup pour eux, on fait partie de la famille, même si on est loin, qu’on s’en va. Je demande à Elisa de m’héberger une nuit à Ziguinchor, sa réponse est immédiate « pas de problèmes, on est de la même famille ! ». Cela n’est pas sans conséquences, car nous sommes en quelque sorte sous leur protection et leur responsabilité, ils sont responsables si l’on fait une bêtise ou offense quelqu’un.

Nous employons le reste de la semaine à nous préparer pour partir, bricolages sur le bateau, nettoyage de winchs, montée au mât, pilote automatique qui fait toujours des siennes….. et approvisionnements et papiers de douanes à Ziguinchor. Ziguinchor est la grande ville de Casamance, elle se situe à une bonne heure et demi d’Elinkine en taxi collectif. Nous y allons à la journée, on fait deux équipes : une pour la douane, on a une peu dépassé le délai, on envoie Manu et Loïza pour apitoyer les douaniers, et une pour les courses au marché et gasoil, il n’y a pas de pompe à Elinkine, il faut aller avec les jerricans à Oussouye ou à Ziguinchor. On retrouve Elisa pour le déjeuner, elle nous guide dans la ville et nous aide à négocier, on rentrera en taxi la soirée déjà bien avancée…. Grosse journée !

La décision est définitivement prise de ne pas partir ce we, et d’attendre au moins dix jours pour avoir une fenêtre météo convenable. Bizarrement ça ne frustre personne, tout le monde est content de prolonger le séjour, personne n’a réellement envie de quitter les bolongs ! On met à profit ces journées supplémentaires pour aller à pied jusqu’à Vendaye, le village le plus proche de Djirwouatou à pied, par la mangrove, dans la vase jusqu’au genoux au milieu des palétuviers, pieds nus oblige, il faut y aller doucement, on a pas la corne des africains pour se protéger les pieds des pièges invisibles dans cette boue…. Il y a à Vendaye le seul apiculteur de la région, on visite son laboratoire et il nous explique comment ils récoltent ici. Le miel est très liquide et très foncé, presque noir. On achète du miel de fromager, de tamarinier et de solome. Il vends aussi du miela et du miel de ruches sauvages ainsi que du miel de palétuvier. Nous sommes surpris par le prix du miel qui est ici plus élevé qu’en France… C’est vraiment un produit de luxe inaccessible pour la population locale. Sur la place du village il y a un énorme arbre étrangleur, c’est un arbre qui grandit sur un autre déjà existant et l’étouffe, prends sa place, il peut aussi se développer sur un mur, on en avait déjà vu un ainsi à Karabane les semaines précédentes.

Nous faisons ainsi plusieurs balades dans les environs avec pour but d’observer et d’identifier un maximum d’espèces d’oiseaux, c’est incroyable le nombre qu’il y en a tant en nombre d’individus qu’en nombre d’espèces, il y a un bruit de fond permanent qui s’intensifie le matin et à la tombée du jour généré par cette vie à plumes, on en discrimine plusieurs dizaines d’espèces différentes. On profite des connaissances de Robin en ornithologie, la première partie de son voyage en Afrique de l’ouest avec des amis ayant pour but l’observation des oiseaux. Nous découvrirons aussi plus tard ses connaissances en astronomie.

De mon côté je cuisine avec Rebecca, on profite du four solaire pour faire un gâteau à l’orangecurd maison… miam ! On goûte aussi au Yet, ce gros coquillage bizarre qui est tellement gros qu’il ne peut plus rentrer dans sa coquille. L’aspect est bizarre, mais c’est très agréable et fin à manger. Agolène reprend la pêche et on se fait plusieurs ventrées de poissons grillés au barbecue, on boit du bounouk, du rhum arrangé, la vie en Casamance quoi !

Manu :

On commence à connaître plus intimement ce pays et du coup on découvre aussi ses problèmes. Les paysans des villages se plaignent tous du manque d’eau en saison des pluies, depuis quelques années la saison sèche dure plus longtemps et les récoltes de riz sont plus faibles, évidemment les conséquences sont importantes comme il s’agit de la ressource alimentaire principale. J’ai aussi discuté avec eux de la semence pour faire leurs plants de riz, pour le moment ils ont encore les variétés traditionnelles et replantent une partie de la récolte précédente, les OGMs ne sont pas encore arrivés ici. D’ailleurs on a remarqué que les fruits aussi sont plus rustiques, leur peau est plus dure et il y a beaucoup de pépins. La Casamance est un espace naturel fragile qu’il faut entretenir, notamment les digues qui protègent les rizières, les habitants ont remarqué que l’eau monte petit à petit et la main d’œuvre dans les villages diminue car les jeunes ont autre chose à faire. Les ressources en poissons ont aussi beaucoup diminué et les populations comme celle de Sifoka ont de plus en plus de mal à se nourrir. Un après midi pendant le rituel de l’ataya les hommes de Sifoka discutaient d’une mesure que l’état veut mettre en place pour interdire aux gens de pêcher sans la licence qui coute chère, encore une difficulté de plus pour ces populations aux ressources limitées. Un autre jour à Elinkine un pêcheur vient discuter avec moi, je lui montre les ailerons de requins qui sèchent dans la rue, il m’explique que c’est pour les Chinois qui les rachètent mais que maintenant les pêcheurs en attrapent de moins en moins car des gros chalutiers étrangers sillonnent les eaux sénégalaises et qu’ils ont vidé la mer. Il me raconte que c’est aussi vrai pour les poissons qu’ils mangent et que les pêcheurs sont obligés d’aller pêcher jusqu’en Guinée Bissau, il faut 2 jours de navigation et aussi payer la licence de pêche Guinéenne car les sanctions sont rudes.

Avec Robin nous passons pas mal de temps à photographier les espèces d’oiseaux présentes sur l’ile de Djirwouatou, Robin avec son âme d’animateur nature aimerait faire un petit livret pour que les touristes de passage puissent faire un peu d’ornithologie. D’ailleurs nous organisons 2 sorties avec les enfants et ils se prennent bien au jeu.

La météo a donc décidée de nous retenir en Casamance, le soir on entends au loin le grondement des vagues, Agolène nous dit que tant qu’on l’entend il ne faut pas essayer de partir. Aurélie doit donc changer son vol pour rentrer en France, après pas mal d’incertitude elle prends l’avion à Ziguinchor pour Dakar puis un autre jusqu’à Praia au Cap Vert pour enfin récupérer son vol jusqu’à Lisbonne et Paris au total 4 jours et demi de voyage entre avions et aéroports. Alors qu’Aurélie retrouve la vie européenne à La Rochelle, nous organisons l’anniversaire des 13 ans de Siméon, gâteau au chocolat cuit au four solaire pour le dessert et Agolène propose d’acheter un porcelet au village voisin, le cochon arrive en fin d’après midi vivant, il faut alors le tuer, le découper et le cuisiner, vers 23h tout est prêt ! Après le repas soirée djembé autour du feu. Bon anniversaire Siméon.

Arnaud, le papa de Lucas et Elian, arrive de Dakar avec leur bateau Didjeridoo et nous raconte son arrivée mouvementée dans le fleuve, la mer est déchainée et la barre dangereuse. Nous apprenons aussi que suite au retournement de 2 pirogues et 2 pêcheurs disparus il y a une interdiction de sortir pendant 3 jours. Bon tant pis on va rester encore un peu !! Noé un jeune équipier venu avec Arnaud de Dakar vient à bord pour faire connaissance, il arrive du Congo et cherche un bateau pour rejoindre le Cap Vert. Très vite il est adopté par l’équipage et on lui fait une place à bord, en plus il aime cuisiner et à fait une formation en boulangerie aux Etats Unis, de bons atouts pour avoir sa place dans l’équipage. La décision est prise de partir dans une semaine, on organise tout de même à Djirwouatou une fête pour notre départ, je cuisine du poulet à l’indienne avec du riz et cette fois ci tout le monde en mange et se régale et comme de coutume après le repas soirée djumbé, chants et danses autour du feu. Pour consolider l’esprit d’équipe je propose alors de partir en trek à travers la brousse, le projet est adopté. On charge la marmite et la théière, 2 kg de riz brisé, quelques légumes et de la pâte à pain, les tentes et les duvets. Le projet est de rallier le village de Nikine au bout de la Casamance juste à l’entrée du fleuve, ce qui me permettra d’observer l’état de la mer. Le premier soir on établi le camp dans la brousse en limite de rizière. Tout l’équipage est rodé à cette vie de nomade et les taches sont vite remplies, les tentes, le bois et le feu pour la cuisine. Pour l’eau il y a une hutte isolée un peu plus loin avec un gars qui vit là et il peut nous donner quelques litres d’eau, nickel ! En bons « sénégaulois » (comme ils disent par ici) on fait cuire notre riz et nos légumes sur le feu, pour le pain Robin nous montre la cuisson directement dans la braise, rien de plus simple il suffit de recouvrir la boule de pâte avec des braises, une fois cuit on gratte la croute, facile et bon. Et enfin un petit ataya pour la soirée astronomie que Robin nous propose. L’ambiance est magique, pas de vent, on entends juste les bruits de la brousse qui dort, pas de lumières autre que celles des étoiles et du laser de Robin qui nous montre les constellations. Le lendemain grosse rando sous le soleil jusqu’au village de Nikine, heureusement un paysan rencontré au détour du chemin nous guide à travers la mangrove, en prenant une digue nous gagnons quelques heures de marche ! Nous rejoignons la piste de sable qui conduit au village, la progression est difficile et Loïza à bout de force, on espère trouver un petit resto à l’arrivée. Mais il n’en est rien, Nikine est très enclavé, il n’y a rien à manger, on rencontre un homme qui nous propose de tuer un poulet pour cuisiner un repas le soir, on accepte avec plaisir ! En attendant nous établissons notre campement sur la plage, nous découvrons sous les palmiers un bar, mais personne ne s’en occupe, dans le frigo quelques bières. Après maintes discussions nous décidons de nous servir et de mettre l’argent dans le carnet de compte. Les femmes du village nous ont préparé un délicieux plat avec pommes de terre, poulet, tomates et aubergines, un régal. Le lendemain, petit déjeuner avec le fond de riz qu’il nous reste et du sucre, au moins c’est local. On prends ensuite une pirogue qui nous ramène près du bateau, on profite du puit d’Ebounkout pour prendre une douche avant la traversée vers le Cap Vert car l’heure du départ approche. Le soir on mouille devant Elinkine, les équipiers et Siméon débarquent pour regarder un match de foot à la télé, Loïza et moi faisons une soirée jeu de société à bord. Le lendemain, grosse journée de préparation avant le départ, la navigation ne va pas être facile alors on cuisine des plats d’avance, tout est calé, on est prêt. Le samedi 10 mars au matin, on entends des chants, ce sont les pêcheurs qui reprennent la mer, c’est la fête pour se donner du courage, les pirogues sont toutes décorées avec des drapeaux et les hommes chantent et dansent sur le pont. Nous levons l’ancre et les suivons. Petit pincement au cœur en quittant la quiétude de la Casamance et les amitiés qu’on y a lié. L’Afrique aura été une expérience riche et dépaysante, ici les codes sociaux et la façon de vivre sont vraiment différents de ce qu’on connait, un vrai choc culturel. Nous redevenons marins en retrouvant l’océan, direction Praia sur l’ile de Santiago au Cap Vert, une navigation d’environ 420 miles.

Teranga

Et la Casamance nous enveloppe de sa douceur de vivre, ici le temps s’écoule lentement au rythme du soleil et des marées. Les journées sont tout de même bien remplies. Pendant ces semaines nous allons partager notre temps entre le village de Sifoka et le campement de Djirouwatou.
Au campement la construction du four en terre se termine et nous essayons de cuire notre premier pain avec. Ce n’est pas un franc succès, le four n’est pas assez isolé et nous ne l’avons pas assez chauffé avant d’enfourner. Un problème aussi de ce mode de cuisson c’est qu’il faut beaucoup de bois et ici sur l’ile les réserves de bois sont faibles cela explique pourquoi dans les villages ils n’ont pas de four à bois. En tout cas la construction aura été un projet collectif et tous les enfants y ont participé mais l’apprentissage de la vie de Robinson est longue.
Au village nous faisons la connaissance des différentes familles, il y a une dizaine de maison, souvent ce sont les femmes qui nous accueillent, les hommes sont partis à la pêche dans les bolongs ou sont installés à l’ombre et discutent entre eux. Nous remarquons que les hommes et les femmes sont rarement ensembles dans leur quotidien. C’est ainsi que ce fait la gestion de la vie du village, les hommes discutent souvent des problèmes, de l’organisation, de la pêche et se racontent les histoires des autres villages, tout en buvant du bounouk ou du thé, ici on dit ataya. L’ataya est une tradition qui a son importance sociale comme le bounouk, le thé est fait sur un petit fourneau en fer dans une petite théière et on fait 3 ou 4 infusions successives. Le rituel peut prendre jusqu’à 2 heures car le thé est bouilli ensuite il faut le sucrer, le faire mousser et enfin le servir à tour de rôle car on n’utilise que 2 petits verres, c’est ce qui accompagne la discussion, ici il faut prendre le temps de faire les choses avec lenteur. Martin, un gars du village, m’a proposé de m’apprendre à faire l’ataya, j’ai donc acheté le fourneau et la théière et aussi les paquets de thé car il faut un petit paquet de 25g par session et aussi beaucoup de sucre. Le premier passage est très fort, amer et sucré en même temps et petit à petit le gout s’adoucit.
La fête au village à l’occasion des 1 an de la mort du père d’Agolène et de la fin du deuil pour sa mère, se rapproche et Agolène est chargé d’acheter le taureau qui sera tué pour faire les repas. Il nous propose de l’accompagner, il doit aller voir une bête à Ludia, un village plus dans les terres. Nous partons donc tous ensemble sur des motos taxi à travers la brousse pour rejoindre Ludia par des pistes. Les jeunes qui conduisent connaissent la route par cœur et roulent à 70km/h sur la piste ensablée, ça va vite, trop vite des fois mais l’expérience est sympa. Nous rendons visite au tuteur d’Agolène, c’est à dire à la famille qui l’a élevé le temps de son apprentissage du travail de la forge. Une petite balade dans le village pour voir le taureau et ensuite nous rejoignons le garage, autrement dit la gare routière, pour prendre un taxi pour Oussouye. Oussouye est le chef lieu du coin et ce weekend là il y a la fête du bounouk. Il y a beaucoup de monde pour cette fête mais ce n’est pas une fête traditionnelle, sono à fond, de la bière et du bounouk ! Le matin Agolène nous propose de rendre visite à Damien, l’ancien instituteur de Sifoka qui vit maintenant à Emy, un village à la lisière de la forêt. Pour l’occasion Damien a chassé une biche cochon le matin, nous sommes très bien accueillis par sa famille. Ici les maisons sont en terre, avec des murs épais et des toits débordants. Devant l’entrée de la maison il y a en général un petit abri pour faire le feu de la cuisine. Damien fait beaucoup de chose par lui même, un instrument de musique à partir de calebasse: l’écontine, des outils pour préparer les rizières: le Kadiénedou, du bounouk, un grand potager …
Après ce périple retour à Elinkine pour un avitaillement du bateau, 20 bidons de 20 litres d’eau du puits seront transportés avec l’annexe et le canoë pour être siphonné dans les réservoirs, nous la buvons sans problèmes. Le lendemain nous partons pour une bonne rando à travers la savane, le bateau est au mouillage derrière Kachouane et nous marchons 3h pour rejoindre Djenbéring sur la cote. Marcher sur les pistes dans la savane arborée et vraiment une expérience exotique, il y a les oiseaux à observer, les termitières géantes, les arbres et des plantes bizarres et surtout pas un bruit. De Djenbéring nous prenons le taxi par aller au Cap Skiring, un haut lieu touristique car c’est là qu’il y a le club med ! Pour la première fois depuis l’ile de Gorée nous nous rendons dans un lieu touristique, il y a des marchés pour toubabs où l’on peut acheter de l’artisanat et des souvenirs, ici les vendeurs font les tarifs européens. Le club med est une énorme prison avec sa plage privée. On se sent étranger à ce genre de tourisme maintenant que l’on mange avec nos mains, assis par terre autour du plat commun, que l’on n’a pas pris de douche à l’eau douce depuis plus d’un mois, que l’on a de la vase incrustée à force de marcher pieds nus dans la mangrove et sur le sable. Le retour de nuit à travers la brousse sera épuisant nous aurons marché plus de 20km sur la journée.
Un soir nous invitons tous ceux qui sont au campement à venir manger à bord un plat Français, du boeuf bourguignon mijoté par Nadine. Il y a Rebecca et Agolène, Arnaud et Elisa, vient se rajouter Ambou le voisin et peu après Manu Dibango qui passe par là en pirogue monte à bord. Au Sénégal ça se passe toujours comme ça, ceux qui passent même à l’improviste au moment du repas sont invités à partager le plat, ça s’appelle Teranga, l’hospitalité, le partage. Avec les enfants nous voilà 12 à table dans le bateau. Les Sénégalais sont toujours méfiants pour gouter la cuisine étrangère et certains ont bien trié leur assiette, les champignons n’ont pas eu de succès et le riz non brisé non plus.
Le samedi c’est l’inauguration de l’église de Karabane, nous sommes invités à faire partie de la délégation du village de Sifoka ainsi que des batocopains contactés par internet, les Pikaïas. Nous partons avec les villageois dans une grande pirogue jusqu’à Karabane. La messe dure plus de 2h et nous préférons faire le tour du village, manger un sandwich omelette oignons et boire un café touba, une infusion de plante qui rappelle le gout du café mais sans véritable café. Après la messe commence la fête traditionnelle avec des danses, des chants et des percussions. Vers 14h tout le monde se met à l’ombre pour le repas, les gens se regroupent en famille ou par village. Les femmes de Karabane ont cuisiné pour tout le monde, environ 500 personnes, et nous offrent un délicieux plat de riz avec du cochon. Le repas est folklorique, on s’installe devant un plat, on mange à sa faim et quand on a fini on se lève pour se laver les mains et si quelqu’un passe par là il prend la place libre autour du plat. Ensuite c’est l’heure du bounouk, des cercles se créent, le vin de palme est servi dans des seaux avec quelques gobelets, on discute et quand on a envie on plonge un gobelet dans le seau. Il y a 2 règles à respecter, on doit faire des bulles avec le gobelet en se servant et on doit finir son verre, on ne remet pas dans le seau. Même si ce n’est pas très alcoolisé au bout de quelques litres ça fait son effet ! Alors les percussions et les danses reprennent plus fort. Les femmes forment un grand cercle sur la place, chacun son tour les villageoises font une démonstration en avançant vers le centre. Commence alors un tournoi de danse entre les femmes des différents villages. Fin d’après midi, les yeux remplis d’images et les oreilles pleines de musique nous retrouvons la pirogue, mais la fête n’est pas finie, les femmes continuent de chanter et de danser jusqu’à l’arrivée. Le soir ils nous ont remercié d’avoir participé à la fête, ils sont fiers de leur culture, et nous, heureux et reconnaissant de pouvoir partager ces moments de joie avec eux.
Les fêtes s’enchainent et celle de la famille d’Agolène est la prochaine, avant nous partons rendre visite à nos amis bateau de Pikaïa qui sont au mouillage devant le village de Heidj plus loin sur le bolong. A bientôt.